Benoît XVI ou le désir de Dieu

Le rappel à Dieu de Benoît XVI prive désormais l’Église de la terre d’une grande âme et d’un esprit supérieur. Dans le climat pesant que nous connaissons actuellement, où l’image du sacerdoce est fréquemment abimée et salie, il est réconfortant de pouvoir laver notre regard dans la contemplation de cette figure de prêtre si lumineuse, si humble et si solide. La Fraternité Saint-Pierre, quant à elle, a contracté une dette de gratitude particulière, puisque Joseph Ratzinger n’a pas été seulement le Pontife soucieux de la prière liturgique de l’Eglise, remettant à l’honneur le missel antérieur à la réforme issue du concile Vatican II, mais aussi un acteur providentiel de sa création, lui qui, le premier, a reçu ses futurs fondateurs en leur assurant que la main que l’Eglise avait tendue à Mgr Lefebvre demeurait ouverte pour ceux qui voulaient la saisir.

Toutefois, si l’on considère la sollicitude de Benoît XVI à l’égard de la Fraternité Saint-Pierre (et, d’une façon générale, à l’égard de tous les catholiques attachés à la liturgie romaine traditionnelle), il serait réducteur, voire erroné, de l’appréhender indépendamment de sa grande vision de l’homme dans son rapport avec Dieu. Benoît XVI n’était pas un « conservateur » au sens que les médias donnent à ce terme : l’acuité de son regard, surélevé par les dons du Saint-Esprit, débordait largement ces catégories impuissantes à rendre raison de la richesse de sa pensée. Comme il l’écrivait en 2000, dans L’Esprit de la liturgie : « La liturgie anticipe la vie future (…) et donne sa véritable envergure à la vie présente. Sans cette ouverture vers le Ciel, notre vie ne serait qu’une existence emmurée et vide[1] ». C’est dans cette perspective qu’il faut situer l’attention particulière du cardinal, puis du pape, pour le culte liturgique de l’Église : celui-ci est un élément déterminant de notre relation avec Dieu, la voie royale par laquelle l’homme peut rencontrer Dieu. A ce titre, la « divine liturgie » comme l’appellent les Orientaux, est infiniment vénérable, elle requiert respect et application.

Le Pape Jean-Paul II avait parlé de la foi et de la raison, comme des « deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité [2]». Le pape Benoît XVI, en revenant fréquemment sur la noblesse de la raison dans sa prétention à la vérité, rappellera au monde que cette vérité a pris un nom et un visage, qu’elle s’est révélée. Aussi, se soustraire, a priori, à la Révélation chrétienne, disqualifier positivement le mystère de Dieu dans la recherche de la vérité, c’est empêcher l’esprit humain d’accéder à sa plus haute dignité, lui interdire le développement de ses plus hautes potentialités, lesquelles ne peuvent se déployer que dans la quête de Dieu. Ainsi l’expliquait le Souverain Pontife, en conclusion de son discours au collège des Bernardins en 2008 : « Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme (…) [3]». Au début du même discours, Benoît XVI expliquait que la richesse de la culture occidentale, dont nous sommes aujourd’hui les héritiers, n’était pas née d’une visée technique ni utilitaire, mais s’était développée à l’occasion de la recherche de Dieu. La quête de Dieu, âme du monachisme occidental, est à la source de notre civilisation : c’est en cherchant Dieu que les monastères ont développé les sciences profanes et les connaissances techniques qui ont façonné notre civilisation et rendent aujourd’hui hommage à l’intelligence humaine. Parlant des monastères, le Pape insistait : « Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle (…). Ils étaient à la recherche de Dieu. Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes les dimensions. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes [4]».

Loin d’avoir stérilisé l’intelligence humaine, le christianisme a au contraire développé ses virtualités, il l’a stimulée et grandie. Le développement de cet humanisme chrétien est constitutif de la pensée de Benoît XVI : la raison humaine trouve son plein déploiement dans la recherche de Dieu et c’est dans cette quête que la raison révèle ses plus grandes richesses.

Or, c’est précisément parce que l’homme est fait pour Dieu, et que toute sa dignité consiste à le chercher, que le défunt Pape a été à ce point soucieux de la prière liturgique : celle-ci est la voie la plus sainte et la plus assurée que Dieu ait laissé à l’homme, pour entretenir le lien sacré inauguré par l’Incarnation. C’est là qu’il faut chercher les motifs qui ont conduit Benoît XVI a accorder tant de vigilance aux rites liturgiques, et à redonner une place à la forme traditionnelle du rit romain qui lui apparaissait un écrin rituel très sûr pour protéger et développer ce lien sacré entre l’homme et Dieu.

« Quærere Deum, rechercher Dieu » aura été l’entreprise inlassable de la vie Joseph Ratzinger et le souci constant du Pape Benoît XVI pour le peuple qui lui était confié. Car le Souverain pontife savait combien, à travers cette quête, l’homme est grandi et Dieu glorifié. En cela il aura marché fidèlement sur les pas de son maître : « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est inquiet tant qu’il ne repose pas en Toi[5] ».

Abbé Benoît Paul-Joseph
Supérieur du District de France

[1] Cardinal Joseph Ratzinger, L’Esprit de la liturgie, 2000.

[2] Jean-Paul II, Fides et Ratio, 1998.

[3] Benoît XVI, Discours au collège des Bernardins, 2008.

[4] Ibid.

[5] Saint Augustin, Confessions, Livre 1.