Edito de l’abbé Benoît Paul-Joseph, supérieur du District de France, paru dans le dernier numéro de Tu es Petrus

« Fluctuat nec mergitur » :  Malmené mais pas débordé !

La célèbre devise de la ville de Paris semble se faire nôtre en ces temps difficiles où nous sommes assaillis de toutes parts. Sous nos yeux atterrés, notre société se déstructure encore un peu plus avec des projets de lois suicidaires qui portent en germe la disparition de notre civilisation. Après la loi Veil, la loi Aubry-Guigou et la loi Taubira, les représentants du peuple français veulent maintenant allonger le délai légal de l’avortement, supprimer la clause de conscience pour les médecins (de sorte que l’avortement devienne un acte médical « normal ») et permettre aux femmes en situation de détresse psycho-sociale de mettre fin à la vie de leur enfant jusqu’au neuvième mois. Soit dit en passant, on ne voit plus pourquoi, si des raisons de santé, de confort ou d’hygiène l’exigeaient, il ne serait plus possible de procéder à la mise à mort du bébé quelques heures plus tard, soit juste après l’accouchement. Ces nouvelles étapes, aussi tragiques soient-elles, ne sont pourtant que la suite logique d’une mentalité orgueilleuse et révoltée qui n’accepte pas que la vie soit un don divin échappant à notre empire, et l’amour humain une responsabilité grave, dont Dieu a fixé les lois. Aussi voyons-nous combien il est malaisé, voire impossible, pour les courageux députés opposés aux dernières propositions de lois, d’argumenter de façon convaincante contre l’extension du délai légal de l’avortement ou la disparition de la clause de conscience : à partir du moment où l’avortement est mentalement accepté, il ne s’agit ensuite que de réglages qui sont effectivement sujets à discussions, et il n’est plus possible alors d’y développer des arguments décisifs.

Par surcroît, le peu de réaction des Français à l’annonce du dernier projet de loi de bioéthique a, une fois de plus, montré l’efficacité redoutable du poison inoculé en 1975 : en 45 ans, ce dernier a totalement paralysé la capacité d’analyse de tout un peuple, modifiant de façon radicale le regard porté sur la vie humaine. Au milieu de ces écueils, la voix de l’Église a pu sembler bien faible : si plusieurs pasteurs ont exprimé leur inquiétude et leur désaveu face au texte proposé par l’Assemblée nationale, d’autres ont donné l’impression de ne pas prendre la mesure de la situation en s’en tenant à des considérations sociales ou écologiques. Il ne nous appartient pas de juger leur décision, cependant on peut comprendre la déception de nombreux catholiques qui attendaient un soutien et une parole forte de l’autorité de l’Église au moment où la bataille entre la « culture de vie » et la « culture de mort » atteint une intensité paroxysmique.

Malgré tout, comme le dit la devise parisienne, « nec mergitur » : non, nous ne sommes pas débordés ! Et cela pour plusieurs raisons. Avant tout, parce que la Rédemption nous a appris que « là où le péché abonde, la grâce surabonde ». Même si la lutte fait rage, nous pouvons être convaincus que le Seigneur ne nous refusera pas son assistance et son appui pour défendre l’honneur de son Nom et la dignité de la créature humaine, sujet de toutes ses prévenances. Ensuite, « nec mergitur », non, nous ne sommes pas débordés, parce qu’il y a toujours des religieux contemplatifs dont la vie se consume dans le silence et la prière, des âmes qui invoquent Dieu jour et nuit, le suppliant d’écarter les maux qui menacent notre terre et de faire reculer ses adversaires. La Sainte Écriture et toute la Tradition chrétienne nous enseignent l’efficacité insondable de la prière et son primat sur toute entreprise humaine, aussi noble et légitime soit-elle. Enfin, même si le rapport de force est loin de nous être favorable, il existe quand même de vrais foyers de résistance et d’opposition, comme l’ont montré les manifestations du mois d’octobre dans de nombreuses villes de France, ou encore les prises de paroles courageuses de plusieurs députés de l’Assemblée nationale.

Dans quelques semaines, le temps liturgique de l’Avent élèvera nos cœurs vers le mystère du Salut apporté par Dieu et il mettra en lumière l’espérance des Justes de l’Ancien Testament, espérance comblée au-delà de leurs attentes. Si l’évènement historique par lequel le Fils de Dieu nous a sauvés est désormais passé (sa Passion, sa Mort et sa Résurrection), son influence demeure vivante et toujours neuve à travers l’irradiation intarissable de la grâce du Sauveur. Celle-ci est toute-puissante et, tel l’empereur Auguste dans la tragédie de Corneille, elle peut forcer les cœurs les plus endurcis à travers la force de la miséricorde :

« Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler ;

Je t’en avais comblé, je t’en veux accabler. »

Alors, non, « Nec mergitur ! ».